Une expression entendue récemment a fortement résonné en moi, et j’ai eu la conviction que c’était exactement ça que je voulais amener les collectifs que j’accompagne à faire : danser avec le vivant.
Cette métaphore de la danse m’avait déjà beaucoup marquée dans la thèse en bande dessinée Le Déploiement (que je remercie encore ma consoeur Anne Radovic de m’avoir fait découvrir !). Nick Sousanis y parle de notre tendance à voir le monde dans le spectre de nos projecteurs individuels. Ces visions contraintes, limitées, créent des divisions, érigent des frontières entre moi (ou nous) et les autres. Notre perception est en effet le plus souvent bornée par notre culture, notre histoire, nos expériences passées et nos croyances… Nous avons alors souvent du mal à comprendre l’autre et se créé un fossé d’incompréhension mutuelle. Celui-ci se creuse lorsque chacun campe sur ses positions, lorsqu’il y a des gagnant et des perdants, lorsqu’on ne cherche pas à aller sur la colline de l’autre, à essayer de voir le monde de son point de vue.
Citant Lakoff et Johnson, Sousanis nous invite à voir la discussion comme une danse. Il ne s’agit alors pas d’ignorer ou d’effacer les différences, mais de les accorder.
Quand on danse avec un ou une partenaire, c’est un dialogue fondé sur l’écoute et les sens. Je suis à l’écoute de ce que l’autre personne propose et je me laisse porter, surprendre, puis je propose quelque chose à mon tour. Pour une danse harmonieuse, les propositions sont faites doucement, en prenant le temps d’être bien compris dans son intention.
En danse, il y a des standards, qui permettent de s’accorder facilement entre danseurs, et puis, quand on est bien en confiance avec son ou sa partenaire, on peut innover, inventer de nouvelles choses.
Danser avec le vivant, c’est pour moi réussir à retrouver cette joie de se laisser surprendre, de lâcher prise et de profiter de ce qui se vit, ici et maintenant. Le vivant c’est le mouvement, l’énergie vitale qui fait pousser les arbres, grandir les animaux et nous pousse à nous lever le matin et à entreprendre des choses.
Pour un collectif, cela veut dire être attentif au chemin tout autant qu’à la destination, proposer, expérimenter et voir ce qui marche et ce qui ne marche pas.
On peut se baser sur des standards pour commencer (des méthodes et des outils), et puis l’expérience et la confiance mutuelle grandissant, on va pouvoir trouver son style, tout en étant conscients que de nouveaux danseurs peuvent entrer en piste, avec leur fraicheur, leur nouveauté, mais aussi leur méconnaissance de ce qui s’est vécu précédemment, de ce qu’on a inventé ensemble. Leur faire une place dans le cercle des danseurs, être attentifs à ce qu’ils s’y sentent bien et acquièrent les codes, permet de les entrainer dans la danse, de les laisser à leur tour proposer des choses, pour partager encore plus cette joie de construire ensemble.
Cette danse avec le vivant se décline aujourd’hui dans de nombreux domaines. Les méthodes agiles, notamment dans les projets informatiques ou encore la permaculture dans le domaine agricole… Apprendre à danser avec le vivant, c’est s’ouvrir, apprendre à écouter et à observer (soi-même, les autres et tout ce qui vit), d’élargir ses horizons…d’être plus connectés, les uns aux autres et avec le vivant.
Alors, qu’attendez-vous pour sortir du halo de votre projecteur et entrer dans la danse ?